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SUR LA RIVE GAUCHE DE LA CERNA

 

Tandis que nous continuons à longer son cours, des régiments relevés nous croisent. Ils ont fait sur les Bulgares un butin assez considérable de mulets, de petits chevaux du pays et, spectacle inattendu, de chameaux qui suivent la colonne d'un air profondément dégoûté.

Mais il passe aussi une ambulance divisionnaire et des batteries d'artillerie dont le repli ne nous fait présager rien de bon. En effet, le 84ème R.I., le 284ème R.I. et le 58ème Chasseurs (243ème Brigade) sont fortement engagés quelque part dans la montagne du côté de Cicevo. Le 45ème envoie son 2ème bataillon en renfort sur la ligne de Sirkovo – Rosoman, le reste du régiment demeurant à la disposition de la 243ème Brigade.

Il est à peu près 14 heures que l'artillerie bulgare nous prend assez méchamment à partie entre Sirkovo et Rosoman. Puis, brusquement, c'est une grosse attaque qui se déclenche, débouchant de Cicevo et du village voisin de Krusevika. La fusillade est très violente. Les balles pleuvent littéralement autour de nous. Mais notre 75 et nos mitrailleuses qui crachent sans arrêt ont assez vite raison de l'ennemi et à 17 heures tout est terminé. Les Bulgares se retirent laissant sur le terrain leurs morts et leurs blessés.

Le bataillon engagé passe la nuit sur place, organisant des lignes de défense, le reste du régiment couche dans les pauvres bâtisses de Rosoman, de Tristani et de Kamendol.

Ce sont de malheureux villages, construits à l'aventure, dont les rues sont des cloaques de boue, dont les maisons suintent la misère et dont les habitants, Turcs pour la plupart, sont extrêmement suspects. On y trouve pourtant des moutons et des poules qu'on achète – si l'on peut dire – avec un minimum de dépense.

Le 15 Novembre, tout le régiment monte en ligne pour relever le 284ème R.I. Et nus, qui n'avions connu depuis plus d'un an que la guerre des tranchées , nous allons faire connaissance maintenant avec la guerre de montagnes. Au lieu de la ligne continue de la tranchée, nous occuperons des pitons désolés qui découvrent une large vue ou qui commandent des passages obligés. Mais la liaison est presque impossible entre les unités qui tiennent les sommets stratégiques, tant les plus courtes distances à vol d'oiseau nécessitent de détours pour être parcourues dans ce terrain chaotique. Il faudra donc dans la plupart des cas faire pour le mieux et comprendre que, bien souvent, les directives devront remplacer les ordres pour les isolés que nous allons être désormais.

Devant nous, le paysage est hostile. Du haut de nos positions, nous voyons, dans un creux, les tâches blanches que forment les maisons éparses de Krusevica et de Cicevo. Puis la montagne reprend pelée, noirâtre. Sur un sommet qui nus fait face, avec de rudes failles brutalement coupées, se dresse, rébarbatif, inhumain, le monastère d'Arkangel. Au-delà c'est l'inconnu des monts qui se répètent toujours plus lointains, plus hauts, plus sinistres. Toute vie en est absente. Et les morts Bulgares laissés sur le terrain à la suite de l'attaque du 14 Novembre, en tas de 10 ou de 20, fondent l'immobilité de leurs cadavres dans l'immobilité de la nature.

Le 16 on reste sur place, sans rien faire.

Le 17 on ne bouge pas.

Le 18, le 19, le 20 on ne fait rien.

C'est pourtant, devant nous, le calme le plus absolu. Il n'y a certainement pas de Bulgares dans la région. Pourquoi n'avancent-on pas alors ? Notre inaction nous paraît insensée. Ne savons-nous pas que l'armée Serbe bat en retraite, qu'elle a descendu tout son pays du nord au sud et que maintenant elle est parvenue à ces montagnes dont les contreforts sont occupés par nos troupes ? Pourquoi ne pas chercher à lui tendre la main ? Va-t-on attendre que l'ennemi se jette entre elle et nous en s'emparant de Prilep et en bloquant les défilés de la Babouna .

C'est, hélas ! ce qui se produit. Les Bulgares ont pris le couloir de Prilep. Ils sont nettement au sud de nos positions. Vont-ils nous bloquer dans l'angle septentrional du Vardar et de la Cerna ?

En tous cas, ils sont maintenant sur nous. A notre gauche, ils attaquent, sur le Rajes, le 148ème. Nous pourrions, nous devrions nous jeter sur leur flanc.

Au lieu de cela, toujours rien, sinon l'ordre, inattendu, d'une retraite qui nous est transmis au début de l'après midi du 21 Novembre


Date de création : 19/01/2013 ! 14:50
Dernière modification : 02/12/2013 ! 18:47
Catégorie : Historique du 45e RI - Le 45e RI en 14-18
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