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LES ATTAQUES DE DECEMBRE 1914
CARNOY MONTAUBAN MAMETZ
Dans la nuit du 16 au 17 Décembre 1914, l'attaque ayant été décidée brusquement, les 2ème et 3ème bataillons gagnent le village de Carnoy. Le 1er bataillon est placé en réserve de division à la ferme Bronfaÿe. Des sapeurs du génie vont, vers 3 heures du matin, placer discrètement à proximité des réseaux de fils de fer ennemis, de gros pétards attachés au bout de longues perches que l'on fera ramper sur le sol, des « crocodiles ».
On profite des dernières heures de la nuit pour gagner en silence les tranchées d'où partira en premier lieu la 8ème compagnie. Son objectif est la cote 125 entre Carnoy et Montauban.
A 6 heures du matin, on fait exploser les crocodiles. Résultat nul : trop peu d'explosifs dont la plupart, d'ailleurs, font long feu. On espère alors ouvrir une brèche dans la fortification ennemie en coupant les piquets et les réseaux à la mitrailleuse. Le résultat n'est pas plus appréciable.
L'ordre d'attaque est néanmoins donné et la 8ème compagnie, sautant le parapet, se dirige vers les tranchées allemandes. Elle n'ira, hélas ! pas bien loin. Dès que son mouvement est commencé, les mitrailleuses ennemies ouvrent le feu et, avec des pertes déjà sévères, la compagnie regagne sont point de départ n'ayant pu constater qu'une chose, l'intégrité absolue du réseau défensif adverse.
Qu'importe ! A 10 heures, on reprend l'attaque. Le commandant de compagnie, un adjudant -chef et un sergent, chefs de section, sont grièvement atteints. Les morts et les blessés jonchent le terrain. Ceux qui n'ont pas été touchés, se plaquent au sol où, toute la journée, jusqu'à la nuit, il devront rester sans faire un mouvement, car le moindre geste déclenche une rafale de mitrailleuse et équivaut à la mort.
Le 3ème bataillon, à son tour, part néanmoins à l'attaque pour reprendre la tâche que la 8ème compagnie n'avait pas pu achever. Placé à la droite du 2ème bataillon, sera-t-il plus heureux ? La réponse vient vite. Les hommes s'avancent en rampant hors de leurs tranchées et, dès qu'ils sont à bonne distance, les terribles mitrailleuses allemandes les stoppent sur place ou les obligent à regagner leur point de départ.
Que fait donc notre artillerie ? Malheureusement peu de chose. De temps à autre, on entend une volée d'obus. Puis, après de longs silences, une volée nouvelle. Mais ce n'est pas cela qui fera taire les mitrailleuses qui nous causent tant de mal, ni même qui parviendra à ouvrir la brèche indispensable au succès de nos sanglants efforts.
A 15heures néanmoins on décide de reprendre encore l'attaque. Tout le régiment, cette fois, va donner, le 3ème bataillon à droite, entre Carnoy et Maricourt, le 2ème bataillon au centre, à la sortie nord de Carnoy et le 1er bataillon à gauche entre Carnoy et Mametz.
L'attaque ne dure pas longtemps : l'instant de quitter la tranchée. Puis, dès l'arrivée sur le terrain découvert, c'est la répétition des échecs de la matinée, les mitrailleuses qui crachent, les morts et les blessés alignés sur le sol, les survivants immobiles entre les lignes.
La nuit permet seule de revenir vers nos tranchées. On ramène des blessés, pas tous, au prix de mille efforts et de mille dangers. Dans les boyaux, on marche sur les morts. Le silence est effroyable. Les heures passées, couchés sur le terrain, à attendre la même mort qui avait frappé tant et tant de camarades, avaient laissé les hommes abrutis de tension nerveuse. Et pourtant, il fallait accomplir les gestes indispensables : l'évacuation des blessés, le ravitaillement en munitions, en eau, en nourriture, la remise en état des tranchées trop bouleversées.
Car le lendemain, le 18 Décembre, les ordres prescrivent d'attaquer encore dès le petit jour. Et c'est le renouvellement, prévu, des insuccès de la veille.
Rien n'était changé : les réseaux et les mitrailleuses allemands étaient toujours là, notre artillerie était toujours aussi peu effective. Pourquoi aurions-nous réussi aujourd'hui ce que nous n'avions pu réussir la veille ?
Et c'est à nouveau les hommes qui tombent, les morts et les blessés qui ne se relèveront plus, les vivants qui resteront pareils aux morts, entre les lignes, jusqu'à la nuit salvatrice. Parmi ceux qui ne devaient jamais revenir, on comptait le commandant du 1er bataillon, tué en même temps que son adjudant, un vieil engagé volontaire qui avait laissé au Chili une importante situation pour venir mourir, héroïquement, sur la terre de sa Patrie en danger.
Littéralement, la mitraille allemande nous cloue sur place. Tout mouvement est souligné par des rafales de balles. Dix tentatives nouvelles échouent, creusant des vides nouveaux et toujours plus cruels.
La nuit nous apporte la possibilité de regagner nos tranchées et de nous réinstaller un peu. Elle nous apporte aussi l'annonce attendue et inespérée de notre relève. Seul le 3ème bataillon restera en ligne, occupant les emplacements mêmes que nous tenions avant les attaques.
La journée du 20 Décembre se passe au repos, à Bray sur Somme, pour les 2/3 du régiment. Le 3ème bataillon reste immobile en avant de Carnoy.
Le lendemain, le commandant décide de reprendre l'attaque avec des troupes fraîches. C'est à un régiment colonial qu'il importera de se lancer sur les fils de fer non détruits et d'enlever les mitrailleuses à la baïonnette ; Malgré la folie de l'entreprise, en plein jour, sans préparation d'artillerie, les officiers sortent des tranchées, en avant de leurs hommes qui les suivent. Presque tous sont tués aussitôt et l'attaque des coloniaux échoue comme les nôtres et pour les mêmes raisons.
Cependant que sous un ponceau de la route de Péronne, un officier d'état-major s'étonnait de ne pas voir progresser ceux qui couchés sur le terrain, y conservaient l'immobilité sereine et définitive de la mort.
Cette attaque devait être la dernière. Mais le secteur allait rester agité : il y a tant à faire, les tranchées à restaurer ou à modifier, les fils de fer à remettre en place pendant la nuit, les réseaux à amplifier, les morts à enterrer. La tâche est éreintante. Il pleut sans arrêt. C'est dans une boue qui colle et qui glace qu'on creusera les boyaux, qu'on charriera les rondins et mes madriers, qu'on fabriquera de précaires abris et qu'on prendra la garde, une garde de 6 ou 7 heures consécutives, coupées de fusillades, de salves d'artillerie et d'alertes perpétuelles.
C'est pendant les attaques de décembre que la classe 1914 avait rejoint le front. Arrivée en pleine bataille, pénétrée de l'esprit le plus noble et du patriotisme le plus ardent, elle devait voir son inexpérience de la guerre sanctionnée par des pertes les plus cruelles. La moitié de ceux qui devaient rester sur le terrain de Carnoy étaient des enfants de 20 ans. La flamme qui les animait s'était éteinte avant qu'ils eussent servi et leur vie s 'achevait avant qu'ils eussent vécu.
Jusqu'au 29 Janvier 1915, nous allons faire alterner les repos à Bray sur Somme avec l'occupation des tranchées de Carnoy. Il y a peu de choses à signaler durant cette période de plus d'un mois.
Le jour de Noël avait été marqué par un calme impressionnant. On avait tacitement observé une trêve que les Allemands, à notre gauche, à Fricourt, avaient encore affirmée en sortant de leurs tranchées et en venant fraterniser avec les soldats du 205ème d'infanterie.
Par contre, le27 Janvier, l'anniversaire du Kaiser avait été l'occasion de fusillades violentes. Nous ignorions la cause du bruit que nous entendions dans les lignes adverses et cette ignorance avait motivé un tir plus abondant qu'à l'ordinaire, ponctué largement par la voix du 75.
Dans la nuit du 27 au 28 Janvier, quand nous quittions Carnoy, relevés définitivement du secteur, le visage de la guerre, telle que nous allions la vivre pendant 4 ans, était réalisé. Les tranchées, les boyaux, les abris, les réseaux de barbelés, les villages évacués de leurs habitants, les maisons écroulées, les fermes incendiées, les arbres étêtés, le terrain bouleversé, les ruines, le désordre, le chaos, allaient constituer pour nous le cadre banal de nos habitudes et le paysage familier de notre existence ordinaire.
Date de création : 19/01/2013 ! 11:28
Dernière modification : 30/01/2013 ! 18:18
Catégorie : Historique du 45e RI - Le 45e RI en 14-18
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