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SISSONNE

Les journées du 13 et 14 Septembre devaient en être, grâce aux cavaliers dont nous étions les soutiens éprouvés, la page la plus abracadabrante.

Le 13, une partie du régiment était restée dans Fismes, l'autre partie dans Bazoches, quand, dans la matinée,on reçut l'ordre de reprendre nos autobus. Direction générale : nord – nord-est, c'est-à-dire Sissonne et le camp de Sissonne, que connaissait bien le 45ème, pour y avoir fait tant de séjours, tant de marches et tant de manœuvres, puisque Sissonne est à moins de 20 kms de Laon.

Le 3ème bataillon va donc, en autobus, coucher à Juvincourt et Dammary, au sud du camp de Sissonne. Le lendemain, le 14 Septembre, il se porte vers l'est sur Provisieux où il s'établit en soutien d'une division de cavalerie qui, plus à l'est encore, doit attaque Neufchatel-sur-Aisne.

Mais Neufchatel est solidement tenu par les Allemands qui ont pour eux une artillerie qui nous fait défaut.

Les cavaliers n'insistent pas.

Nous les voyons refluer et l'ordre de retraite est transmis au bataillon qui doit franchir l'Aisne le plus vite possible. A travers champs on se dirige vers la Ville -aux-Bois sur laquelle s'acharne maintenant l'artillerie allemande. On évite le village et on passe l'Aisne à Pontavert pour s'arrêter à Roucy, encombré de troupes à pied et de cavaliers.

Rien que de normal dans ce qui venait de se asser pour le 3ème bataillon. Le reste du régiment allait connaître une aventure autrement effarante puisqu'il allait s'enfoncer à plus de 30 kms dans les lignes allemandes et, aventure plus étonnante encore, s'en sortir.

De Fismes, les autobus nous avaient conduits, au-delà de l'Aisne, à la Ville-aux-Bois, évacué depuis quelques minutes par les Allemands, puis à Juvincourt, d'où les cavaliers partent faire des reconnaissances si rassurantes qu'on se rembarque pour aller coucher les uns à Sissonne, les autres à la ferme de Macquigny, près de La Selve, c'est-à-dire à la limite nord-est du camp de Sissonne, les autres enfin à la Malmaison.

Partout on nous accueille avec une stupéfaction non dissimulée : il y a des Allemands partout autour de nous. Il n'y a que quelques instants qu'ils étaient là encore. Mais partout, on nous fait fête. Nous connaissons presque tous les habitants de Sissonne. Certains d'entre nous y ont même leur famille. La soirée et la nuit se passent le mieux du monde.

Mais le lendemain matin, on apprend que la cavalerie comptant sur nous pour la couvrir, est repartie vers l'arrière.

On quitte rapidement Sissonne pour la Maison Bleue, la petite gare qui dessert le camp, à 5 kms au sud. A peine arrivés là, l'attaque ennemie se déclenche.

De l'est, de l'ouest, du nord, nous arrivent des obus, puis des balles. Nous ne savons pas grand'chose de la position de ceux qui nous attaquent ; Les uns font face au nord, à Montaigu, les autres face à l'est à Saint-Erme , Vieux Laon, Goudelancourt.

Un infirmier va, à bicyclette, avertir à la Malmaison la musique, les sapeurs et le,porte-drapeau, de la situation qui paraît sérieuse. Grâce aux autobus qui sont encore là, tout le monde peu gagner Amifontaine par une route très bombardée, mais sons dommages.

Le drapeau est sauvé.

Vers 15 h 30 le reste du régiment a pu rejoindre aussi Amifontaine, reprendre les autobus et, de même que le 3ème bataillon , gagner Juvincourt, la Ville-aux-Bois, franchir l'Aisne à Pontavert, et atteindre enfin par Maizy, Merval, à 5 kms au nord de Fismes, sur le plateau qui sépare la Vesle de l'Aisne.

Ainsi se termina l'extraordinaire randonnée qui nous avait porté si avant dans les lignes allemandes. Le Ciel n'avait sans doute pas voulu que se termina ce jour-là l'histoire du 45ème. Normalement, la promenade à Sissonne aurait dû être pour nous la fin de la guerre.

Extrait de l'historique du 19e Régiment de Dragons:

Dans la soirée du 12, nous passons la Vesle à Fismes, toujours sous une pluie battante, et après quelques heures derepos au Grand-Hameau et à Romain, le régiment remonte à cheval à l'aube du 13 septembre.

Au nord de l'Aisne, la canonnade fait rage; l'Allemand se cramponne au Chemin des Dames, à Craonne. Par la crête de l'Arbre-de-Romain, réplique méridionale du Chemin des Dames, nous gagnons Roucy, Pontavert où nous passons l'Aisne, à 11 heures. Le corps de cavalerie a trouvé une brèche dans la ligne ennemie. Tandis que le général de Maud'huy attaque sans répit le massif de Laon par le sud, nous allons pousser droit au nord, puis, par Sissonne et Liesse, nous rabattre à l'ouest, couper les voies ferrées qui convergent sur Laon, donner la main au corps de cavalerie qui doit opérer vers La Fère. C'est le groupe d'armées allemandes de l'Aisne coupé en deux tronçons, Maubeuge dégagée, la route de la Sambre ouverte, tous les espoirs permis.

Le 4e escadron, sous les ordres du lieutenant Dury, fait l'avant-garde de la 15e brigade; l'itinéraire fixé est le nord de La Ville-aux-Bois, Juvincourt, la ferme de Damary et Amifontaine. Tandis que nous longeons la lisière nord du bois de La Ville-aux-Bois, nous sommes copieusement canonnés des hauteurs de Craonne ; ce n'est encore que du 77. Un temps de galop, en colonne par quatre, met la brigade hors de portée à l'est de la route nationale Reims-Laon. Juvincourt, d'où partent quelques coups de feu, est laissé à droite, le gros de la brigade le nettoiera. A 13 heures, l'avant-garde aborde Amifontaine; le village est occupé. Le peloton de tête, lieutenant Denardou, se lance à cheval par la rue de Juvincourt; les cyclistes, le gros de l'escadron foncent par le sud-est, le 3e escadron appelé à la rescousse entre par l'ouest; les défenseurs du village détalent à toutes jambes vers le nord, mais l'avantgarde, trop en l'air pour se risquer à la poursuite, organise' rapidement l'occupation des lisières.

Pendant cette attaque brusquée, le maréchal des logis Chabal, du 4e escadron, a été tué ; le lieutenant Gazin, blessé à la jambe, a pu garder son commandement. A 14 heures, la division est rassemblée; puis voici des autobus parisiens bondés d'infanterie qui va tenir Amifontaine. En route, vers le nord-ouest. La division, toujours en formation de combat, serpente à travers les bois de pins ; à 19 heures, nous sommes au camp de Sissonne, dont nous occupons les baraquements, tandis que la brigade légère pousse ses éléments avancés jusqu'à Marchais. Nous croyons déjà toucher au but : l'encerclement du massif de Laon.

La nuit est calme; mais dans la matinée du 14, le mouvement ne se poursuit pas. L'ennemi s'est renforcé dans le massif de Laon, et surtout à Craonne, avancée est du massif; vers Neufchâtel-sur-Aisne, en arrière à droite, on signale de grosses colonnes en marche vers l'ouest. La position de la division devient bien aventurée ; nous sommes à 25 kilomètres de l'Aisne, la tenaille ennemie se resserre derrière nous.

A 10 heures, cap au sud; et pendant que nos artilleurs, sur notre flanc droit, mettent en batterie de quart d'heure en quart d'heure, nous gagnons Amifontaine. Là, une courte halte; nous recueillons les débris de l'infanterie débarquée la veille, qui s'est fait décimer devant Berrieux; nous revoyons le colonel Sauzey à la tête du régiment, le général Grellet reprend sa brigade; le général de Contades prend le commandement de la 10e D. C.

Les capitaines commandant les 3e et 4e escadrons sont appelés auprès du général de division, et le capitaine Brun, de l'état-major, leur donne l'ordre verbal, au 4e escadron : « d'étudier le débouché éventuel de la division sur Berrieux, par Le Poirier, qu'il tiendra » ; au 3e escadron : « même étude sur Goudelancourt, par la cote 94, qu'il tiendra ». En bon français, c'est une mission de sacrifice : Goudelancourt et Berrieux, c'est farci d'Allemands ; Le Poirier et la cote 94, c'est dominé et battu par l'ennemi. Et comment la division va-t-elle déboucher par ces points ?

Les deux escadrons passent la voie ferrée ; le 4e escadron en

entier, le 3e avec un peloton seulement, pour étudier un débouché, les trois autres gardant au nord-ouest, dans les bois, le flanc droit du détachement. Des crêtes du ,massif de Laon les fusants arrivent bientôt; il y a heureusement quelques meules de paille pour abriter les tirailleurs. On repère l'emplacement des batteries ennemies ; un gros rassemblement gris de toutes armes se montre sur les pentes au nord de Berrieux, belle cible pour notre artillerie. Les estafettes partent vers la division, une heure se passe; nos canons sont muets. Enfin,l'aspirant Bera, envoyé en estafette, revient et rend compte qu'il n'y a plus de division; au dire d'une patrouille pointe d'arrière-garde, nos camarades doivent maintenant être à § Pontavert. La situation est nette : braves gens des 3e et 4e escadrons, vous avez l'ordre de tenir — tenez !

Entre temps, le combat à pied s'est étendu à toute la ligne.

Le lieutenant, Dury a le bras gauche fracassé par une balle ; son évacuation, à cheval, est des plus pénibles. Mais cette masse ennemie, toujours en vue, à flanc de coteau, n'ose pas déboucher; elle a beau jeu pourtant, pour nous submerger.

Le bluff prend avec ces gens-là; ça va bien, continuons.

17 heures, rien de nouveau. 17h 30 : un cavalier au galop à travers les balles ; c'est le maréchal des logis Audie.

« Ordre du colonel Sauzey, en retraite sur Pontavert. »

Doucement, un par un, à plat ventre, les tirailleurs regagnent les cheveux; puis, se coulant derrière les bois, ils sont déjà à Amifontaine, que les obus les cherchent encore à la cote 94. Entre Amifontaine et Juvincourt, ça va mal : il faut louvoyer entre un barrage de 105, à droite, venant des hauteurs de Craonne, et des salves de 77 fusants, à gauche, tirées d'au delà de la Miette. Les chemins, très repérés par l'artillerie, sont bordés de cadavres. Enfin, vers 19 heures, on passe la route de Reims à Laon à la ferme du Choléra ; au. sud du bois de La Ville-aux-Bois, on est à l'abri des vues; nos batteries sont encore là, les pièces ne sont plus qu'à quatre chevaux, incapables d'un effort; de loin en loin un animal squelettique abandonné dans un champ regarde d'un œil morne défiler ses compagnons de misère. Il n'a plus la force d'essayer de brouter, ou de chercher l'eau qui le sauverait. A 20 heures, les derniers éléments de la division repassent l'Aisne à Pontavert, tandis que le gros l'a passé à Beaurieux; à 22 heures, tout le monde se retrouve à la ferme du Faite, pour cantonner à Révillon.

La percée a failli se terminer en catastrophe, mais non sans gloire ; la brèche est refermée pour de longs mois.

Jusqu'au 18 septembre, le corps de cavalerie est tenu en haleine entre l'Aisne et la Vesle, avant de se lancer dans cette longue chevauchée qui portera dans l'histoire le nom de « course à la mer »


 


Date de création : 19/01/2013 ! 11:22
Dernière modification : 20/01/2013 ! 16:23
Catégorie : - Le 45e RI en 14-18
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