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DEMIR-KAPU

A la gare de Demir-Kapu règne une extraordinaire animation. On charge sans arrêt le matériel qui nous a accompagnés. Et si l'armée française quitte la Serbie, au moins ne laissera-t-elle derrière elle rien qui puisse servir à l'ennemi.

Dans une boue épaisse de 20 centimètres, on travaille le jour sous un ciel bas et gris qui coupe à mi-hauteur les roches noires du défilé où s'étrangle le Vardar. Le soir, la lumière crue des projecteurs a acétylène souligne d'ombres violentes la tâche ininterrompue des travailleurs nocturnes.

C'est un grouillement forcené d'hommes, de chevaux, de voitures. Il y a des caissons qu'on charge sur des trucs, des attelages qu'on soulève vers le quai d'embarquement, des ballots qu'on entasse dans les wagons et des colis qu'on empile un peu partout.

On expédie sur Guevgueli – frontière grecque – cinq ou six trains par jour, dont il s'agit d'assurer le départ et de garantir la sécurité.

Aussi, les deux bataillons disponibles du régiment (le 1er bataillon avait été envoyé dès le 2 Décembre sur Petrovo) sont-ils employés à couvrir, vers l'ouest et vers le sud, Demir-Kapu que protègent déjà des forces de la 57ème Division.

Le 3ème bataillon part en réserve du 235ème R.I. vers Przdevo et Orizar, petit village à cheval sur la Bosava, près de son confluent avec la Drenska. Le 2ème est envoyé dans la région d'Orizar-Dren.

La marche est pénible pour gagner les emplacements désignés. La boue englue les pistes d'une gangue fangeuse où l'on s'enfonce jusqu'aux mollets. Beaucoup d'entre nous y perdent leurs souliers et l'on verra au cours des dures journées qui vont suivre, des hommes parcourir la montagne, se battre et mourir, chaussés,comme leurs ancêtres de Valmy, de misérables guenilles.

Dans la soirée du 5 Décembre, la lumière est tombée bien vite. La journée a été si embrumée qu'il semble qu'il n'ait jamais fait jour. A la faveur du brouillard, les Bulgares se sont avancés jusque sur les positions qu'occupe le 235ème d'Infanterie. A bout portant, ils se sont jetés sur les tranchées de la 57ème D.I. et, avec des hourras frénétiques et des cris de guerre menaçants, ils ont exercé une telle pression sur le bataillon en ligne que celui-ci a dû rompre et chercher un refuge derrière notre 3ème bataillon qui lui sert de soutien.

C'est d'abord la 10ème et la 11ème compagnies qui, à la lisière du hameau de Dracevika, à 1 kilomètre à l'ouest d'Orizar, supportent le premier choc de l'ennemi victorieux. Il fait une nuit profonde, maintenant. Mais on a eu le temps de creuser des petits éléments de tranchées sur lesquels les patrouilles bulgares viennent se faire arrêter.

Le désordre est considérable. Les bruits que l'on entend, cette troupe qui marche, ces coups de feu que l'on tire, d'où viennent-ils ? Amis ou ennemis ? Est-ce le bataillon du 235ème qui reflue ou les Bulgares qui nous dépassent ?

Les agents de liaison sont admirables. Comment, sur ce terrain inconnu, dans cette obscurité insondable, arrivent-ils à maintenir la conjonction des unités engagées et à nous donner cette confiance qui naît de la certitude de n'être point isolés ?

A 1 heure du matin, le 6 Décembre, la 9ème et la 12ème compagnies viennent renforcer les deux compagnies déjà en ligne. L'ordre est donné au 3ème bataillon de tenir 24 heures pour permettre de liquider l'évacuation de la gare de Demir-Kapu.

La nuit se termine dans une activité fébrile. On approfondit les tranchées, on prépare des emplacements de mitrailleuses, on repousse des patrouilles trop audacieuses.

La matinée est plus triste encore que la nuit. Le brouillard est toujours intense et on ne distingue rien dans la grisaille qui nous submerge.

Vers 10 heures, il y a une petite éclaircie et c'est, aussitôt, l'attaque bulgare qui se précise. Sur toute la ligne, la fusillade commence et bientôt c'est l'assaut qui va nous être donné. Les ennemis ont mis baïonnette au canon. On les voit qui courent vers nous avec leurs uniformes bruns, leurs petites casquettes plates et leurs sacs blancs. Ils poussent des hourras assourdissants, autant pour effrayer l'adversaire que pour maintenir leur courage. Ils n'en manquent d'ailleurs pas, car c'est sur nos tranchées même qu'on les arrête et à quelques mètres de nous que leurs cadavres jonchent le sol par petits paquets inégaux.

Ce premier échec n'a pas calmé les Bulgares. Toute la journée ils vont reprendre leurs attaques avec un égal insuccès. Mais ils sont tenaces, ils ne nous lâchent pas. La nuit qui vient les interrompt à peine.

Mais le 3ème bataillon avait fait tout son devoir. Quand à 1 heure du matin, le 7 Décembre, il recevait son ordre de repli, il avait bien tenu les 24 heures pendant lesquelles on lui avait demandé de tenir. L'ennemi n'avait pas pu passer et l'évacuation de Demir-Kapu avait pu prendre fin.

Pendant ce temps, le 2ème bataillon qui, tout à côté, était en position à Orizar-Dren, n'avait rien eu à faire. Quelques patrouilles bulgares étaient venues au contact. Quelques bandes de mitrailleuses avaient été tirées. Mais la situation était restée, somme toute, assez calme.

Qu'était, durant ces événements, devenu le 1er bataillon qui nous avait quittés quatre jour auparavant ?


Date de création : 19/01/2013 ! 14:52
Dernière modification : 02/12/2013 ! 18:52
Catégorie : Historique du 45e RI - Le 45e RI en 14-18
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Réactions à cet article

Réaction n°1 

par GAUTHE le 30/07/2015 ! 16:59

À la fin du texte , est évoqué les Bulgares
J'ai un  cliché Visé paris N° 70 daté d'octobre 1916 où l'on voit, à DEMIR-KAPU, des soldats français et quelques prisonniers bulgares. S'agit-il des patrouilles bulgares évoquées?Le soldat qui écrit est affecté à une TSF
Merci de m'en dire plus