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Henri MOREL |
LES AFFAIRES DU TURBAN
Ce sont les Bulgares qui vont amener un peu de diversion à la manotonie de nos jours. Parmi nos positions il en est une, le Turban, tenant son nom d'une roche qui ressemeble vaguement à cette coiffure orientale. Elle a des vues étendues sur le Vardar, la plaine Guevgueli et la région de Gurincet. En saillant marqué sur notre ligne, le Turban agace nos ennemis plus encore qu'il ne les gêne et, le 11 octobre 1917, ils tentent, pour l'enlever, une attaque assez sérieuse. Au début de la nuit, alors que nos tranchées sont encombrées d'un bataillon annamite qui nous ravitaille en fils de fer, en rondins et en tôles ondulées, une canonnade s'élève violente et inattendue. Toute notre ligne est aussitôt garnie et la fusillade commence intense sur le Turban et sur les postes voisins du Raviné et de l'ouvrage Condopolis qui le flanquent à droite et à gauche. Pendant une heure le bruit ne cesse guère, tandis que montent dans le ciel les fusées éclairantes et que notre artillerie alertée envoie ses salves de 75. Mais rapidment tout rentre dans l'ordre et la nuit s'achève assez calme, à la grande satisfaction des Annamites qui ne paraissent pas goûter du tout cette sorte d'animation. Un mois durant, le secteur retrouve sa somnolence à tel point qu'on juge possible d'envoyer le 3ème bataillon au repos à Gumendjé. Relevé par le 7ème Hellénique, notre bataillon part en camion vers la tranquillité des arrières oubliée depuis 18 mois. Naturellement on bride immédiatement notre possible détente par un luxe inouï de recommandations les plus express sur la fréquentation de cafés (!) et les relations avec les habitants (!) Sur le front le calme persiste. Sans doute il y a bien, ça et là quelques rencontres de patrouilles, quelques poseurs de fils de fer qui déchargent leur fusils ou quelques petits postes ui échangent des grenades. Il y a aussi de gros chiens que les Bulgares lancent sur nos lignes et qu'on prétends enragés. Mais le 19 novembre 1917 l'ennemi va déclencher une attaque plus importante sur notre position avancée. C'est dans la matinée que commence sa préparation d'artillerie. Et cette fois cela paraît de grand style. Pendant des heures les obus tombent sans arrêt, les réseaux de fils de fer sont spécialement atteints. Des brèches sont amorcées. A 14 heures 30 les Bulgares jugeant la destruction suffisante bondissent vers nous. Ils ne vont pas loin. Les hommes du Turban sont sortis de leurs tranchées nivelées. Debout, grenades en main, ils accueillent les assaillants empêtrés dans les barbelés. Les mitrailleuses crachent leur effroyable éventail de projectiles. Et sur l'adversaire qui recule désemparé, le 75 s'acharne. On voit, au point d'impact, la poussière, la terre, les pierres qui s'élèvent en une gerbe noirâtre, les fantassins qui se couchent soudain au milieu de leur fuite éperdue, les morts et les blessés gisants sur le terrain et les survivants continuent leur course affolée jusqu'au moment où la tranchée de départ leur offre à nouveau l'abri tutélaire de son fossé de terre et de rochers. En hâte on a fait revenir le 3ème bataillon de Gumendjé. Mais il arrive trop tard : cette fois les Bulgares ont compris l'inutilité de leurs efforts. Désormais la vie va continuer périlleuse et monotone, avec ces fatigues sans récompense et ses dangers sans gloire, pendant un hiver semblable à tous les autres dans sa désolation, sa tristesse et sa désespérance.
Date de création : 19/01/2013 ! 15:19
Dernière modification : 14/12/2013 ! 20:19 Catégorie : - Le 45e RI en 14-18 Page lue 3202 fois |